PORTRAIT – Gonzalo Canale, un diamant si discret

Le merveilleux monde de l’Ovalie nous offre sans arrêt des personnalités hautes en couleur. Le rugby, comme tous les sports, est un reflet sociologique de la société. Il y a des gros, des minces, des blonds, des bruns, des petits, des grands. Et puis il y a des excentriques, prétentieux, discrets, ternes. Bref, une multitude de joueurs à analyser.

Aujourd’hui, un air distingué d’Italie flotte sur le portrait du jour, celui de Gonzalo Canale, héros oublié.

Le garçon est né à Cordoba en Argentine, mais est obligé de faire des aller-retours avec l’Italie, pays dont il acquerra la nationalité définitive. A Trévise, voisine de Venise, Canale devient professionnel à 19 ans avec le club local, le Benetton Trévise, en 2001. En Vénétie, Gonzalo joue trois-quarts centre avec un profil qui lui ouvre en 2003 les portes de la sélection nationale. Perforateur de défenses, rapide sur les appuis, le nouveau centre de la Nazionale* est le futur du pays de de Vinci. Ses premières sélections à l’été 2003 l’amènent à la Coupe du monde. Les Italiens ne pèseront pas bien lourd, derrière le pays de Galles et les All Blacks, mais parviendront à arracher deux victoires face au Canada et au Tonga. Un premier succès pour le discret Gonzalo.

*surnom donné à la sélection nationale italienne.

L’aventure vénitienne se poursuit encore deux ans, mais l’enjeu est ailleurs. Canale dispute chaque année le Tournoi des Six Nations – dix au total- et s’installe au centre du terrain comme la pièce maîtresse du fond de jeu azzurri*. Son talent est bien supérieur au championnat italien. Il n’en fallait pas plus à Clermont, en perte de vitesse en 2005, pour recruter l’Italien. Gonzalo Canale change de dimension, le championnat de France l’attend. Il doit être l’un des fers de lance de l’attaque auvergnate, où les individualités peinent à percer. Déjà, une place de titulaire l’attend aux côtés de l’expérimenté Tony Marsh, international français, au club depuis 1999. A la fin de la saison 2005-2006, l’ASM finit dans le ventre mou (7e) du championnat, le moment pour le président de l’époque, René Fontès, de recruter le manager Vern Cotter.

*bleu en italien, l’équipe nationale d’Italie joue de cette couleur.

Gonzalo Canale aux côtés de Martin Castrogiovani (à gauche). Photo Fel/L’Equipe

Changement radical chez les jaune et bleu. Le nouveau boss néo-zélandais apporte rigueur, discipline et précision dans les fébriles rangs clermontois. Fini les comportements de starlettes, place aux soldats. Et ça paye. Le potentiel de Gonzalo Canale commence à être exploité à pleine capacité avec des lignes arrières retrouvées. A côté du tank Marsh, Canale bombarde le centre du terrain adverse et alterne passes longues « au large », comme l’exige Vern Cotter pour son équipe. Le train jaune et bleu est lancé, il remportera le Challenge Européen en 2007 face à Bath (22-16) et reviendra disputer les phases finales du Top 14, le même printemps. A l’époque, pas de barrages ni de place pour le 6e, les quatre premiers sont en demi-finales, point. Clermont affronte Toulouse, quoi de plus classique.

Les rouge et noir dominent le match, l’ASM souffre au début de la seconde mi-temps (7-15 à la 54e) . Puis le ballon arrive dans les mains de Canale au milieu du terrain, l’Italien fixe et met sur orbite Aurélien Rougerie, qui dansera avec les trois-quarts toulousains, avant de finir sous les lumières. Première demi-finale, première « passe décisive » pour Canale, qui ne pourra pas empêcher le Stade français de souffler le bouclier de Brennus sous le nez des clermontois en finale (23-18). Clap de fin pour Tony Marsh qui prend sa retraite les jours suivants, l’ASM doit trouver un nouveau compère à Gonzalo au centre. Bingo, le sud-africain Marius Joubert et ses 30 sélections arrivent en Auvergne. Le grand Marius (1m91) doit apporter puissance, vitesse et technique pour faire vivre le ballon et mettre Clermont dans l’avancée.

Pendant deux ans, la paire italo-sud-africaine va déferler sur les pelouses du championnat de France, tel le premier étage de lancement des fusées arrières jaune et bleu. Clermont est de nouveau un cador du championnat mais aussi un magnifique perdant, s’inclinant en finale en 2008 et 2009 face à Toulouse et Perpignan. Pour Canale aussi, il ne manque qu’un titre pour continuer la Dolce Vita. Car les années passent mais rien ne change en Italie. Gonzalo est le patron du centre de la Nazionale et terminera sa carrière avec quatre-vingt-six sélections, ponctuées par deux Coupes du monde en 2007 et 2011. « Serial loser », Clermont parvient encore à trouver le mental pour se qualifier en demi-finales du Top 14 face au Rugby club toulonnais, lors de la saison 2009-2010.

Oui mais voilà. La paire de centres qui tourne n’est plus Joubert-Canale, mais Rougerie-Joubert. Pour cette énième demie, l’Italien est effacé des titulaires, mais non moins décontenancé. Au bout de 80 minutes, le match doit choisir son vainqueur en prolongation. A la dernière minute du match, l’ailier fidjien Lovobalavu s’échappe le long de la ligne de touche, un essai transformé suffit aux Toulonnais pour aller en finale… Mais au bout du bout de ses doigts, Gonzalo Canale, rentré en toute fin de rencontre, cisaille l’ailier rouge et noir et le projette en touche. Succès assuré. Toujours discret et humble, c’est celui qui a rongé son frein durant presque toute la partie qui vient sauver Clermont. Deux semaines plus tard, l’ASM gagnera enfin sa première finale face à Perpignan, le 29 mai 2010.

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Sur le déclin, Gonzalo Canale accompagnera l’émergence d’un certain Wesley Fofana et restera au club jusqu’en 2012, bouclant cent vingt-cinq matchs joués pour Clermont. Lors de la cérémonie des départs au stade Marcel-Michelin, le public auvergnat applaudit avec fierté son « héros de 2010 », en pleurs après sept ans d’inoubliables moments. Au bord de l’océan Atlantique, le centre italien finira sa carrière tranquillement à La Rochelle, avec la certitude d’avoir accompli quelque chose de grand.

Ce n’était pas un excentrique ni un hâbleur, Canale, c’était le symbole de la discrétion efficace, marquée par une constance énorme. Quel diamant est plus précieux, dans un sport où la modestie est reine ?

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