TOP 14 – « Le meilleur championnat du monde »

Absurde, risible, grotesque, ridicule… Depuis des années, on attribue le champ lexical du comique au rugby français, à la fois pour son équipe nationale et son championnat. Avec cette idée en tête, on oublie trop souvent à quel point les acteurs nationaux de l’Ovalie peuvent déborder d’imagination. En raison du Covid-19, la saison de Top 14 est suspendue depuis le 13 mars 2020. Alors que nombre d’entraîneurs et de présidents de club plaident pour une saison blanche, la LNR (Ligue Nationale de Rugby) et son président, Paul Goze, ont sorti de leur chapeau un tour qu’aucun n’aurait pu prédire.

Le 15 avril 2020, un communiqué de presse émane de la Ligue, dans lequel, deux « scénarios » sont envisagés :

Scénario 1 : les championnats 2019-20 reprendraient fin juin / début juillet directement sous forme de phases finales avec des finales de TOP 14 et PRO D2 au plus tard le 18 juillet.

Scénario 2 : les phases finales des championnats 2019-20 se dérouleraient – selon des modalités déterminées en fonction du nombre de dates disponibles – en août 2020, en amont du lancement de la saison 2020-21 qui débuterait dans la foulée fin août/début septembre.

(Source : communiqué du 15 avril 2020, Ligue Nationale de Rugby)

Le but à peine masqué de la décision de ces deux scénarios, est de renflouer les caisses de la LNR et celles des clubs. Sur le principe, rien de choquant. Depuis un mois, les finances des écuries françaises sont dans le rouge pour des raisons naturelles (absence de recette de billetterie, baisse des salaires forcée, pour ne citer qu’elles). Il a été question de disputer des barrages entre les clubs de la 5e à la 8e place pour qualifier deux clubs en Coupe d’Europe, puis de déterminer les huit premiers du championnat, directement « européens », ou encore un grand tournoi regroupant aussi les huit premiers, pour sacré un champion. Bref, une multitude de solutions envisagées, à part la plus logique, celle de la saison blanche. Logique, car les classements de Top 14 et de Pro D2 resteront inchangés, sans montée ni relégation. Mais organiser une fin de saison en faisant jouer coûte que coûte les lucratives phases finales, c’est prendre des risques volontairement élevés pour l’ensemble des acteurs.

Président de la Ligue, Paul Goze va devoir convaincre le microcosme de l’Ovalie dans les prochaines semaines. (Photo: LNR)

Les spectateurs auront-ils le cœur et le courage d’aller dans des stades de plus de 30 000 places pour aller voir un simulacre de phases finales ? Pas certain. Quid des joueurs ? Comment des équipes entières vont-elles pouvoir s’entraîner collectivement et surtout, retrouver une approche psychologique intégralement dédiée à la compétition ? Quid des nouvelles recrues ? Pourront-elles jouer sur la base de leur contrat (à partir du 1er juillet) ou attendre septembre ? Enfin, dans un championnat aussi serré, dans lequel La Rochelle (5e) n’est qu’à 5 points de Montpellier (8e), dans lequel il reste 8 journées, ultra décisives pour déterminer le fameux Top 6, comment est-il possible d’organiser des phases finales dans ce contexte ? Chaque journée, un chassé-croisé de positions s’organisait entre, Clermont, La Rochelle, Toulouse, Montpellier pour ne citer qu’eux. Et si à ce jour, le Stade rochelais et l’ASM sont 5 et 6e, on peut imaginer que les positions ne seraient pas restées figées jusqu’à la fin du championnat.

Une chose est sûre, la palme revient d’ores et déjà au scénario numéro 2. Commencer une saison une semaine après en avoir terminer une, c’est fort. La situation peut-elle empirer ? Si la Ligue était dirigée de manière professionnelle, non, évidemment. Personne ne sait ce qu’il va réellement se passer dans les semaines à venir, ni quel numéro de clown sera joué par la LNR. Alors oui, Bordeaux et Lyon, leaders incontestés de la saison régulière ont de quoi être frustré. Mais le pays ne tourne pas autour du rugby français, et encore moins autour des intérêts de ses dirigeants.

HISTOIRE – Toulon éternel

Dans les sports américains, on parle de dynastie lorsqu’une franchise parvient à glaner plusieurs titres sur un nombre d’années réduit. C’est la quintessence d’un groupe, un alignement des planètes prolongé, le brin de réussite qui vous sourit, bref, la domination écrasante d’un acteur sur son monde. De 2013 à 2015, le Rugby club toulonnais a régné sans partage sur l’Europe, en s’imposant, de fait, comme un nouveau géant du Vieux Continent. Itinéraire d’un parcours jamais égalé.

Après deux finales perdues en 2012 (Challenge Européen et Top 14), le RCT veut changer de cour. Lassé de voir les autres lever les trophées l’explosif président Mourad Boudjellal signe les recrues comme Johnny Wilkinson enchaîne les pénalités à l’entraînement. Mermoz, Michalak, Masoe, Kennedy, Jenkins, Armitage et consorts débarquent sur la rade toulonnaise. Avec ses leaders Bakkies Botha, Matt Giteau, Carl Hayman et « Sir Johnny » l’armada rouge et noire est née sur le papier. Mais qu’en sera-t-il sur le pré ? 19 victoires et 90 points conquis en Top 14, solide dauphin du leader clermontois.Toulon est là où on l’attendait. Le championnat c’est bien, mais la Coupe d’Europe c’est mieux non ? Dans une poule abordable composée des Sharks de Sale, des Cardiff Blues et de Montpellier, les hommes de Bernard Laporte disposent des Gallois, écrasent les Requins (62-0) mais s’inclinent face à Montpellier lors de l’ultime journée. Peu importe, Toulon disputera les quarts de finale au stade Félix-Mayol pour la première fois de son histoire.

D’une intensité brûlante, le public toulonnais voit ses joueurs remporter une première bataille face aux Leicester Tigers, sur un drop de Wilko à la dernière minute pour sceller le succès varois (21-15). Première bataille, premier exploit, donc. Trois semaines plus tard, bis repetita. A Twickenham, la mêlée rouge et noire concasse celle des Saracens et permet à Wilkinson de régner dans son jardin anglais, avec 24 points au total. L’élève Owen Farrell ne dépassera pas le maître ce jour-là, 24-12, Toulon est en finale. Déjà historique, pour sa deuxième participation à l’épreuve continentale. En face, Clermont est favori et malgré deux essais encaissés, le RCT ne pliera jamais. A la 65e minute, le « cerveau » argentin Fernandez Lobbe arrache le ballon du match à Wesley Fofana et passe à Delon Armitage, la suite vous la connaissez, Clermont pleure Toulon rit. Premier sacre européen pour le peuple toulonnais. Lancés, les Galactiques disputeront une deuxième finale de Top 14 d’affilée. Face à Castres, la bande à Wilko sera trop court (14-19) pour réaliser le doublé H Cup* – Top 14. Qu’importe, le peuple toulonnais fêtera ses héros sur la Rade, objectifs explosés.

(*surnom de la Coupe d’Europe, Heineken Cup jusqu’en 2015)

Été 2013, pour prolonger la motivation après un titre, l’usage est d’injecter du sang frais dans les veines du champion. Qu’à cela ne tienne. Bryan Habana, Drew Mitchell, Martin Castrogiovanni, Ali Williams et Juan Smith arrivent. Que du lourd. En championnat, le club connaîtra quelques péripéties et la suspension de son architecte Bernard Laporte après des propos peu cordiaux à l’égard du corps arbitral. 16 semaines, à partir de février. Dur. Toulon gagnera moins de matchs que la saison passée mais terminera 1er . Symbole des grandes équipes non ? Pour l’Europe, même classement, même issue, quart à la maison. L’ogre irlandais du Leinster se déplace à Mayol. Après 40 minutes de neutralité (6-6), le RCT fait exploser les Blues avec deux essais de Xavier Chiocci et Drew Mitchell. 23-6 à l’heure de jeu, les Irlandais ne reviendront jamais (29-14 score final). Toulon impressionne. En demi-finales, au Vélodrome, c’est Sa Majesté Johnny Wilkinson (24 points au total, ça ne vous rappelle rien ?) qui crucifie le Munster (24-16) malgré les assauts rouges. Deuxième finale en deux ans, le rugby français a un fort accent varois. Face aux Saracens, finalistes novices, l’expérience rouge et noire fait la différence.

En envoyant Giteau et Juan Smith en terre promise, Toulon gère sa finale et gagne 23-6. Doublé historique pour un club de l’Hexagone. Insatiable, le RCT se défait du Racing 92 en demi-finale du Top 14 (16-6) et remporte un Bouclier de Brennus vengeur face à Castres (18-10), et scelle la plus belle saison de l’histoire du club. Le sacre est aussi le dernier de Johnny Wilkinson, qui part à la retraite après le doublé. On a connu pire comme fin de carrière. Good bye Sir.

Le numéro 10 emblématique du RCT tire sa révérence avec un Brennus en poche. Luc Boutria

En France comme en Europe, Toulon n’a jamais tremblé dans les matchs couperets. Cette saison, aucun match décisif ne s’est terminé à moins de huit points en faveur des rouge et noir. Costaud.

Le printemps se termine, il faut déjà penser à la saison 2014-2015. Guilhem Guirado, Leigh Halpenny et James O’Connor sont les fers de lance du recrutement « made in Toulon ». Les saisons passent et rien ne change. Le bateau RCT ne semble jamais à la dérive, et assure tranquillement sa position de leader du Top 14, comme l’an passé. Prenez les mêmes ingrédients en changeant les adversaires en Europe, Toulon termine 1er de sa poule. En quart de finale, désormais annuel rendez-vous au stade Félix-Mayol, Frédéric Michalak guide les siens avec six pénalités face aux London Wasps et envoie le club en demi, aidé par les essais de Mathieu Bastareaud et d’Ali Williams (32-18). Le Leinster débarque au Vélodrome. Dans un match cadenassé sans essai, les buteurs Halfpenny et Madigan pour les Blues assurent la prolongation au bout des quatre-vingt minutes (12-12). 90e minute, le Springbok Bryan Habana surgit, intercepte le ballon du match sur une passe irlandaise hasardeuse et plante l’essai de la victoire. Comme en 2014, le Leinster ne reviendra pas (25-20). Troisième finale d’affilée, deuxième face à Clermont.

Après une grosse entame jaune et bleue, Toulon fait le dos rond et profite d’une erreur clermontoise en toute fin de première mi-temps pour marquer et passer devant aux vestiaires. L’arrière de l’ASM Nick Abendanon ne dégage pas en touche à la mi-temps et permet à Mathieu Bastareaud d’aplatir en force (16-11). L’Anglais va se rattraper et marquer à la 62e et ramener les siens à un point (19-18). A partir de cet instant, Clermont ne marquera plus un point et se fera mystifier par un exploit personnel du Wallaby Drew Mitchell. Par ses crochets virevoltants, l’ailier australien efface six défenseurs et envoie Toulon vers le triplé continental (24-18). Clermont pleure, Toulon rit, une seconde fois. Usé, le RCT perdra en demi-finale du Top 14 face au Stade français un mois plus tard (16-33). Fin de cycle, ou plutôt fin de règne. Cette défaite marque le départ à la retraite de géants du Rugby mondial : Botha, Williams, Hayman s’en vont, l’ère des Galactiques est terminée.

Entre 2012 et 2015, Toulon aura disputé sept finales consécutives (Top 14, H Cup, Challenge Européen) et se sera imposé en trois saisons, comme un grand d’Europe. Le pari de la cohabitation de stars était risqué mais s’est révélé destructeur : un Brennus et trois Coupes d’Europe. Pas de doutes, ce Toulon-là était bien éternel.

HISTOIRE – La symphonie inachevée de Clermont

Le 18 mai 2013, le ciel tombe sur la tête des Clermontois. Inconsolables, effondrés, dévastés, les joueurs de l’ASM ont laissé échapper une Coupe d’Europe qui leur était destinée, jusqu’à quinze minutes du terme de la finale, face à Toulon. D’un point (15-16), les Varois exultent sur le podium en levant le titre européen suprême. Itinéraire d’une saison jaune et bleue récitée à la perfection, jusqu’au final.

Du récital achevé, on annonçait pourtant l’enfer assuré. Dès les poules, Clermont se retrouve avec le double tenant en titre, les Irlandais du Leinster. Massif. Accompagnés par les prometteurs anglais d’Exeter, et les expérimentés gallois de Llanelli, aucun faux pas ne sera admis pour entrevoir les quarts de finale. Objectif annoncé et parole tenue. A la maison devant Llanelli (49-16), et à Exeter (12-46), l’ASM frappe fort d’entrée en prenant la tête du groupe, sans contestation. Le chef d’orchestre Vern Cotter, manager de l’équipe, veut produire toujours plus de jeu et laisser les virtuoses, Morgan Parra et Brock James, lancer les flèches Nalaga et Sivivatu en terre promise. En Irlande, le Leinster assure lui deux succès, certes moins probants, mais annonciateurs d’une poule en attente de son choc de titans. Car après seulement deux journées, les Scarlets de Llanelli et les Chiefs d’Exeter sont hors-course.

Clermont-Leinster, Leinster-Clermont : la saison se joue déjà ici, au milieu du mois de décembre 2012. Premier acte, victoire jaune et bleue (15-12) dans l’infernal Stade Marcel-Michelin. Par un pragmatisme froid et clinique, l’ASM prend sa revanche sur la terrible demi-finale perdue face à ces mêmes Leinstermen (15-19), au printemps de la même année. Mais chacun sait que le deuxième acte sera plus rude, plus intense et plus décisif à l’Aviva Stadium. Un antre à la forme d’une vague prête à déferler sur quiconque oserait perturber le chant assourdissant des supporters irlandais. Devant presque 50 000 spectateurs en fusion, les vagues déferleront oui, mais elles seront clermontoises. Plus libérés, les Jaunards vont réaliser le match parfait. Défense anesthésiante, mêlée digne du Monstre à seize pattes*, sur fond de précision chirurgicale. A lui seul, Morgan Parra a rentré 23 points au pied, en haranguant ses gros, face, littéralement, au pack de la sélection irlandaise. Le jeune Raphaël Chaume concassait la mêlée des Blues, pendant que les lignes arrières clermontoises confisquaient le ballon et se déchaînaient avec un engagement héroïque. Si l’ASM ne marquera qu’un essai par Wesley Fofana, à bout de bras, elle ne rendra jamais son match référence et fera tomber l’ogre bleu, 21-28. En changeant d’approche pour vaincre les Irlandais, les hommes de Cotter prouvent surtout qu’ils ont grandi, en s’adaptant perpétuellement à leur adversaire, symboles des grandes équipes.

Avec 18 points au terme des quatre premiers matchs, le trou est fait, il ne reste qu’à assurer un quart de finale à domicile. En patron, Clermont mène la danse et termine invaincu de la phase de poules en balayant Exeter (46-3) puis Llanelli (0-29). Le Leinster ne verra pas les phases finales.

Le printemps arrive, annonçant les débuts des matchs couperets pour le Graal européen. Pour son premier quart à domicile, l’ASM reçoit Montpellier, qualifié in extremis. Dans une ambiance plus volcanique que jamais, Clermont continuer de jouer ses gammes. Tels des musiciens transcendés par leur morceau, les lignes arrières clermontoises se baladent au milieu des montpelliérains, encore un peu tendres pour ce niveau de compétition. Rougerie, Sivivatu, Fofana, Byrne, Nalaga, tous plantent un essai au terme d’un festival offensif. 36-14, Clermont peut rêver. En demi-finales, la bande à Rougerie « reçoit » à Montpellier un autre géant irlandais , le Munster, la deuxième moitié de l’équipe d’Irlande. Rempli de tension et d’intensité, Clermont prend vite les commandes par un essai de Nalaga et deux pénalités de Parra (13-3 à la mi-temps). Face à la Yellow Army, la Red Army est venue en nombre au Stade de la Mosson, poussant le Munster en deuxième mi-temps. Subissant les assauts rouge, l’ASM craque à la 60e minute sur un essai de Denis Hurley, après une beauté de coup de pied rasant de la légende Ronan O’Gara. 16-10 à cet instant, le souffle se fait de plus en plus court pour les supporters jaune et bleu. Mais là encore, au bout du crépuscule héraultais, les Munstermen se casseront les dents face à la défense impitoyable des Jaunards. 80e minute, mêlée rouge, pénalité pour les jaune et bleu, la messe est dite., 16-10. Clermont fait tomber une troisième fois un bout d’Irlande et s’envole au pays celte pour y disputer une finale fratricide contre Toulon.

L’ASM est favorite, son groupe est huilé à la perfection par le chef Cotter, pas de blessures, les artistes n’ont plus qu’à s’accorder. En face, le RCT de Bernard Laporte affiche une équipe légendaire : Bakkies Botha, Carl Hayman, Matt Giteau et évidemment le virtuose anglais Johnny Wilkinson. Depuis 2010 et une demi-finale de Top 14 mythique gagnée en prolongations par Clermont (35-29), Toulon s’est vengé en 2012 (12-15), et une singulière histoire est née entre les deux clubs. Polémiques arbitrales, interventions dans la presse, scores serrés, le « ASM-RCT » du 18 mai 2013 constitue le climax d’une rivalité exacerbée. A Dublin donc, la cinquième finale franco-française est d’une tension extrême durant quarante minutes, où seulement six points ont été marqués (3-3). Les deux novices, à ce stade de la compétition, ouvrent une véritable bataille de tranchées dans ce premier acte, aucun territoire n’est cédé. Puis Toulon céda. Les dix premières minutes du second acte envoient Napolioni Nalaga et Brock James en terre promise, 15-6 à la 49e minute. Clermont a lâché les chevaux et exploite chaque faiblesse toulonnaise. Le plus dur est fait, le RCT semble touché en plein cœur.

Puis Clermont explosa.

Alors que Toulon, presque sans solutions, est parvenu à revenir à 15-9, Wesley Fofana se fait piéger sur la ligne des vingt-deux mètres. L’Argentin Juan Martin Fernandez Lobbe lui arrache le ballon et envoie sur orbite Delon Armitage. L’Anglais, s’échappe de Brock James et plonge dans l’en-but clermontois. 63e minute, 15-16. La machine est enrayée, mais il reste un gros quart d’heure pour reprendre aux Toulonnais la Coupe d’Europe. Les Clermontois lâchent tout, tentent tout, David Skrela se fait contrer sur un drop face aux perches, mais Toulon finit fort et gagne par sa défense héroïque, au terme d’une finale épique. 81e minute, une mauvaise passe anéantit l’espoir jaune et bleu, ballon en touche, Toulon est sacré.

L’ouvreur australien Brock Jamaes ne peut que regarder Delon Armitage et Toulon passer devant.

Chez les spécialistes comme chez les supporters, beaucoup s’accorderont à dire que Clermont a joué la meilleure finale possible jusqu’à la 63e minute. Beaucoup s’accorderont à dire que cette année-là, l’ASM n’avait jamais disposé d’un groupe aussi étoilé sur une saison. Mais ce jour-là, une mauvaise note a gâché la symphonie jaune et bleue.

*expression de Roger Couderc pour désigner le surpuissant pack montferrandais des années 1970.

6 Nations – Les Bleus piqués

Abattue, l’équipe de France peut nourrir de regrets face à son indiscipline. AFP/Anne-Christine Poujoulat

Il est des matchs où rien ne va, où les dieux du rugby ne sont pas avec vous. Le XV de France version Galthié a connu sa première défaite de l’année en Écosse (28-17) dans un parfait mélange d’excès, frustration et de fébrilité. Sous la pluie et les cornemuses écossaises, le rêve de Grand Chelem s’est définitivement envolé.

Habituée des départs canons, l’équipe de France a délivré sa moins bonne entame du Tournoi des Six Nations. Après à peine sept minutes de jeu écoulées à Murrayfield, Romain Ntamack sort sur commotion après une mauvaise réception d’une chandelle. Fauché en plein vol, le jeune Toulousain avait impressionné en terre galloise en donnant aux Bleus, une stabilité retrouvée à la charnière. Pour mener le jeu français, Matthieu Jallibert rentre dans une partie, où comme ses coéquipiers, il aura du mal à s’extirper du piège écossais. Car si le XV du Chardon n’a pas été transcendant durant les trois premières journées du Tournoi, il a su appuyer là où ça fait mal, notamment en mêlée fermée et par des montées défensives agressives. Les hommes de Galthié tombent trop de ballons, commettent trop de fautes, et sont trop fébriles en attaque pour inquiéter l’Écosse, maîtresse inattendue du match après trente minutes (6-0). Mais tout peut aller très vite. Arrivant enfin à enchaîner les séquences, les Tricolores torpillent leur adversaire par l’axe et finissent à dix mètres de la ligne d’en but. Tête levée, vision ajustée, Antoine Dupont sort le ballon et délivre une passe au pied inspirée, dans les bras de Damian Penaud, s’écroulant dans l’en-but.

Les Français reprennent le contrôle d’un point (6-7). La libération tant attendue se révélera être un pétard mouillée. Car si le XV de France devait rentrer aux vestiaires en tête, il s’est fait piqué trop violemment par le Chardon. 37e minute, le pilier Mohamed Aouas disjoncte et assène un coup de poing au troisième ligne Jamie Ritchie. Après de longues minutes d’arbitrage vidéo, plusieurs images montrent les provocations écossaises. Mais la réponse est interdite. Manque d’expérience au niveau suprême, le jeune montpelliérain sort sur carton rouge, Ben Hastings passe trois points. Sonnés par l’expulsion, la défense bleue est dépassée et subit les vagues du XV du Chardon. Percées dans l’axe et jeu déployé jusqu’aux ailes, Sean Maitland plante un coup de poignard en coin avant la mi-temps (14-7). A l’entame du second acte, les assauts se répètent et c’est encore Maitland qui marque en coin après les courses tranchantes du centre Chris Harris et du demi de mêlée Alli Price. L’Écosse mène de quatorze points (21-7), la messe est dite. Jamais les Bleus ne seront en capacité d’inquiéter les supporters écossais. En symbole de ce rendez-vous manqué, la charnière Dupont-Jallibert n’a pas rayonnné, prise dans l’étau de la défense adverse. Avec un rebond, le talonneur McInally file le long de la touche et alourdit le score à quinze minutes du terme (28-10). Sévère pour la jeunesse française qui répondra orgueilleusement grâce à son capitaine Charles Ollivon (28-17).

Première leçon pour ce nouveau XV de France. Même si les Tricolores n’ont jamais été capables de maîtriser le match, les défaites amères sont un passage obligatoire dans le rite vers la victoire et à l’horizon de la Coupe du monde 2023. Forts de l’expérience engrangée à Murrayfield, les Bleus devront lâcher les chevaux face à l’Irlande, dans la quête d’un premier sacre continental depuis 2010.

FOCUS – Bordeaux, comme un futur grand

Crédits photo : Guillaume Bonnaud

Le ciel n’a jamais été aussi ensoleillé Place de la Bourse, à Bordeaux. En brisant une série de quatre défaites de suite face au Castres Olympique dans leur jardin de Chaban-Delmas (victoire 26-24), l’UBB s’affirme plus que jamais en patron du Top 14 avec huit points d’avance sur le dauphin lyonnais. Meilleure attaque, deuxième meilleure défense, du jeu, du mental, ce Bordeaux-là pourrait bien être le grand cru de l’année 2020.

Retournons dans le passé. Chaque année ou presque, les Girondins calquaient leur saison sur la précédente avec une entame de championnat tambours battants qui finissait toujours sans résonance, en dehors des sacro-saintes places du « Top 6 ». Frustrant. Mais depuis la remontée des bordelais dans l’Élite en 2011, le club s’est développé notamment en changeant de stade définitivement en 2015. Fini le stade André-Moga et ses 9000 sièges, place au Chaban-Delmas avec des matchs à plus de 34 000 spectateurs. Le président Laurent Marti comprend très vite qu’il faut attirer l’œil sur la capitale girondine la même année. Les stars australiennes Adam Ashley-Cooper et Sekope Kepu débarquent, le prometteur Loann Goujon renforce la troisième ligne, Emile Ntamack devient entraîneur des arrières. Avec ces transferts XXL, Bordeaux doit aller en phases finales au printemps 2016. Encore manqué. La maudite septième place s’accroche aux crampons grenats dans une saison où les stars annoncées décevront, notamment à cause de l’impact de la Coupe du monde perdue par les Wallabies Kepu et Ashley-Cooper. Entre 2016 et 2019, l’Union naviguera entre la neuvième et la onzième place, avec toujours la même frustration de produire un jeu séduisant mais de livrer des saisons inconstantes. Et pour que le navire bordelais ne chavire pas, il fallait un nouveau capitaine.

Chistophe Urios pour changer de cap

On dit souvent qu’il faut saisir une opportunité quand elle se présente sur un plateau. Après ces années d’inconstance, Bordeaux doit à nouveau frapper fort et acquérir un entraîneur disruptif. A l’aube des phases finales 2019, tous les cadors du championnat ont verrouillé leurs architectes, sauf le Castres Olympique et son gourou Christophe Urios qui partira libre à la fin de la saison. L’UBB fait tapis et signe celui qui a amené le CO au Brennus en 2018. Souvent jugée trop lisse, l’Union veut casser les codes avec un manager réputé pour ses méthodes basées sur l’affect et la rigueur. Quel meilleur choix se présentait à Laurent Marti ? « Le jeu c’est bien, les victoires c’est mieux » . Ainsi cette expression devait-elle trotter dans la tête du président bordelais au moment du pari Urios. Finie l’instabilité des trois dernières années, l’imposant entraîneur s’est engagé quatre ans en Gironde avec l’objectif de rejoindre les phases finales… ou plus ?

Le changement fut radical. Les sceptiques pouvaient être inquiets d’une baisse de niveau de jeu de l’Union guidée par celui qui avait fait de Castres, une équipe hargneuse, guerrière mais peu enclin à déployer du jeu. Des inquiétudes balayées d’un revers de main dès le début du championnat avec quatre victoires autoritaires à plus de trente points. Bordeaux s’installait à la première place du Top 14 avec Lyon, une place toujours confortée semaine après semaine. La force d’Urios est de transcender ses joueurs et les faire atteindre leur plein potentiel. Rappelons nous de l’arrière castrais Julien Dumora, brillant en finale du Top 14 cuvée 2018, ou de la pleine maîtrise de la charnière diabolique Rory Kockott-Benjamin Urdapilleta. A Chaban-Delmas, le public bordelais se régale du brûlant Semi Radradra, de la jeunesse virevoltante symbolisée par Geoffrey Cros ou Mathieu Jallibert, ou enfin de la puissance de Cameron Woki et Mahamadou Diaby. Dans les joueurs cités, aucune recrue. Tous étaient présents la saison dernière au moins. En un an, la mue est spectaculaire pour des joueurs qui adhèrent parfaitement à la méthode Urios.

Mais comme on l’a dit « le jeu c’est bien, les victoires c’est mieux ». Et sans défense, difficile de valider l’équation. Car si les Girondins marquent en moyenne 29 points par rencontre, leur solidité défensive se révèle être une muraille avec une moyenne de 18 points encaissés. L’an passé, Bordeaux se classait en 12e position des meilleures défenses. Tel est le changement fondamental qui permet aujourd’hui au club de prétendre sérieusement non plus aux top 6 mais bien à la place de leader du Top 14. Par la défense et une nouvelle approche mentale, les joueurs bordelais sont aujourd’hui pris au sérieux pour le plus grand plaisir de leur malicieux entraîneur. En symbole de ce changement de statut, plusieurs matchs références sont à mettre au crédit des hommes d’Urios. Quatre victoires en patron face à Clermont et Castres et une prestation impressionnante dans l’antre du Racing (30-34) ont rendu l’équipe beaucoup plus menaçante que par le passé face aux « gros poissons » du championnat. Chahutés en première mi-temps à Clermont et durant plus de soixante minutes face au CO, Bordeaux est à chaque fois parvenu à sortir vainqueur des dernières rencontres. En tout point, la différence au classement se fait ressentir autant que la différence d’état d’esprit.

Non, l’UBB n’est plus l’équipe qui fait pschit quand on l’attend, elle n’est pas l’équipe qui a « seulement » profité de la Coupe du monde pour prendre de l’avance sur les ténors. Cette année, il faudra compter sur un Bordeaux au potentiel de millésime.

6 NATIONS – La flamme bleue

Adam Davy – PA Images via Getty Images

Brûlé. Le Pays de Galles s’est incliné face au XV de France (23-27) dans son antre infernal, le Principality Stadium. Dans un affrontement où les Bleus ont été impériaux en défense, et rayonnant en attaque, le XV du Poireau est tombé dans le bec du coq français.

Protocole grandiose, présence royale du prince William, arène fermée, les protégés du gourou Galthié étaient attendus de pied ferme à Cardiff. Dans leur bleu de chauffe traditionnel, les Tricolores n’ont pas arrêté de bombarder les Dragons Rouges. Septième minute, Leigh Halfpenny sous pression sous une chandelle, le ballon gicle dans les mains d’Anthony Bouthier, le Montpelliérain plonge en terre promise. Pas de quoi faire descendre la température de l’ex-Millenium. Vingt minutes plus tard, après « l’essai de l’année refusé » selon Fabien Galthié, Paul Willemse s’extirpe d’un maul à cinq mètres et étend son bras sur la ligne d’en but après avoir renversé trois gallois. 17-6. Le réveil a sonné pour les Gallois. Dan Biggar enclenche la fin de la nuit par une pénalité et participe à cinq minutes de rugissement avant la fin du premier acte, en vain. Héroïque, ce XV de France-là est affamé de plaquages à l’instar de Bernard Le Roux ou d’Antoine Dupont, et repousse les Dragons aux vestiaires.

Mental ardent, muraille brûlante

Retour en Enfer. Maul, percée, essai. Le pilier Deon Lewis ramène le Poireau à un point (16-17) seulement huit minutes après le début de la seconde période. Les Bleus subissent les flammes, elles étaient attendues. Et le tournant du match arriva. Romain Ntamack jaillit de sa ligne pour intercepter une offrande galloise au milieu du terrain, personne ne le rattrapera. D’un collectif séduisant en première mi-temps, c’est par une interception et un exploit individuel que le XV de France reboute le Pays de Galles à huit points. Virtuose, le jeune toulousain marque les esprits par une performance sublime, en ajoutant trois points de plus à vingt minutes du terme (27-16). Au-delà de l’attaque, les Tricolores démontrent une solidarité inégalée depuis une décennie et montrent une détermination guerrière. Le plaquage tranchant de Romain Taofifenua en témoigne.

Le sacro-saint money-time pointe le bout de son nez, le moment choisi par Dan Biggar de marquer en force au pied des perches. Comme neige au soleil, l’avance bleue a fondu de onze à quatre points à cinq minutes de la fin. Mais les démons du passé ne seront pas invités. Les Gallois multiplient les temps de jeu dans leur camp jusqu’à la percée du centre Nick Tompkins, écroulé par Thomas Ramos aux abords des 22 mètres. Camille Chat, tel un coup de grâce, plante ses mains sur le ballon pour annihiler l’action. Pénalité, le duel est fini. Les jeunes Bleus ricanent pendant que les sages gallois s’agacent. Dix ans après, ils l’ont fait.

Transcendé, le XV de France ne s’est pas jeté dans la gueule des Dragons Rouge et a livré son match référence. Avec trois victoires en autant de matchs, le rêve continental se rapproche.

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