HISTOIRE – Castres avait tout d’un grand

Imprévisible, comme d’habitude. Le Castres Olympique est comme un poil à gratter dont on arrive jamais à s’en débarrasser. Depuis une dizaine d’années, le club se félicite de sa réputation d’équipe rugueuse, guerrière, prête à un combat de tous les instants, agrémenté d’un zeste de vice. Année après année, les Castrais s’immiscent dans les engrenages des grosses machines toulousaines, clermontoises, toulonnaises etc. pour tenter de les faire dérailler. La saison 2017-2018 marque la parfaite illustration de cette introduction. Récit.

L’été 2017 tape sereinement à Castres. Au printemps, son équipe de rugby a, comme chaque année ou presque, assurée une place dans le Top 6, (5e), s’inclinant à Toulon (26-22) lors du barrage d’accession aux demi-finales. Peu de recrues à l’intersaison, encore moins de gros coups, Christophe Urios, entraîneur des bleu et blanc, parie sur la constance de son noyau dur. Depuis l’arrivée d’Urios en 2015, les dirigeants du CO prolongent la voie construite par les deux anciens entraîneurs (Laurent Labit et Laurent Travers) : la garantie de jouer en Enfer avec un gros collectif. Dixième budget du Top 14, le club n’a pas les moyens de s’offrir des stars quatre étoiles comme le fait son bruyant voisin toulousain. Si certaines équipes peinent à trouver leur style de jeu, celui du CO est huilé à la perfection depuis des années.

Une idée du collectif poussée à l’extrême, une défense infernale, du combat sur chaque ballon et un mental d’acier. Rajoutez à cela un entraîneur sortant du même moule, quelques leaders charismatiques roublards et vous obtenez la recette du Castres Olympique. Critiquée par certains, elle n’est pas extravagante ni spectaculaire. Mais elle vous assure l’essentiel, de quoi tenir au corps et résister.

La saison 2017-2018 démarre mal pour les Tarnais avec cinq défaites en sept matchs dont une à la maison face à Montpellier (17-22). Castres, le petit, commence déjà à se noyer. Mais la bande d’Urios remonte vite à la surface face aux grands du championnat. Clermont, La Rochelle, Toulouse, Toulon ne trouveront aucune solution face au rebelle tarnais. Sept victoires d’affilée. Mais par manque de constance, le CO fera le yo-yo entre la 3e et la 8e place durant toute la seconde moitié du championnat, gâchée par des défaites face à Brive, Agen, Pau, normalement à sa portée. Peu importe, le monde du Top 14 est toujours en alerte face au piège bleu et blanc, affamé de gros coups comme celui de gâcher le Réveillon à Clermont (victoire 27-31) le 31 décembre 2017. Gueule de bois au Michelin. L’inconstance stresse toujours plus le stade Pierre-Fabre, fief du CO, dont le public regarde avec anxiété le classement à cinq journées de la fin : 8e derrière le Stade rochelais, Lyon* et Pau.

Sur le papier, l’expérience est castraise, habituée des fins de championnat sous tension de qualification en barrages. Les bleu et blanc plantent quarante points à Toulouse (31-41), refroidissent le bouillant stade Marcel-Deflandre de La Rochelle (18-26) et anéantissent Oyonnax (54-3) en clôture de championnat. Une équipe de gros coups, on vous dit. Le LOU* assure, mais la Section paloise craque, Castres arrache la sixième place, l’école n’est pas finie.

Révélation de la saison, l’arrière Julien Dumora inscrira 11 essais lors de la saison 2017-2018. Icon Sport

Le CO affronte le 3e, le Stade toulousain, dans son antre. Paradoxalement, les grimaces ternissent le visage des rouge et noir, tant on se méfie du voisin bleu et blanc. Les castrais savent qu’ils peuvent encore faire un coup. Le décor est parfait. Et dès la dixième minute, l’ailier Armand Battle profite d’une maladresse toulousaine après une touche et inscrit le premier essai. Grimace confirmée dans la ville rose, Castres prend les commandes et ne les lâchera plus. Toulouse revient à 13-6 à la mi-temps mais commet trop de fautes de main pour espérer rejoindre le Racing en demi-finales. 44e minute, sortie des vestiaires, en-avant toulousain à 10 mètres de leur en-but, le CO récupère et c’est encore Battle qui passe dans un trou de souris. 20-6, Toulouse est K.O. Après un essai de Ghiraldini pour les stadistes, et un carton rouge du talonneur castrais Jenneker à l’heure de jeu, l’espoir est de nouveau permis. Mais Castres est plus fort, plus agressif, plus affamé, défend mieux, 11-23 score final. Exploit à la sauce tarnaise, le club retrouve les demi-finales quatre ans après sa dernière participation.

Un autre géant du Top 14 est au menu des hommes d’Urios, le Racing 92. Favori logique, les ciel et blanc ont fini 2e du championnat. Entraînés par le duo Travers-Labit (ex-CO), les Franciliens savent à quoi s’attendre. 8e minute, essai en force du numéro 8 castrais Vaipulu, 7-0, le Racing n’est pas réveillé. Puis 10-0 au terme du premier quart d’heure, après une pénalité de Benjamin Urdapilleta. Le moment choisi par les ciel et blanc d’accélérer et d’assommer le CO à la 19e et 25e minute, par deux essais de Juan Imhoff et Louis Dupichot. 14-10, si le Racing veut aller en finale il sait qu’il doit en jouer au large et convertir chaque occasion, comme ses deux essais. Car à Castres, chaque faute est punissable par l’un des buteurs, Rory Kockott ou Urdapilleta. En fin de première mi-temps les Racingmen se mettent à la faute et permettent à l’Argentin de passer deux pénalités. 14-16, fin du premier acte. Sauf qu’en deuxième mi-temps, l’un et l’autre manquent deux pénalités, laissant le Racing en position de chasseur. Le CO croit alors être chassé lorsque Teddy Iribaren s’échappe et aplatit sous le nez castrais. Arbitrage vidéo, en-avant de passe, essai refusé, Castres respire. L’orage est passé quand Urdapilleta retrouve la mire et donne cinq points d’avance à son équipe à la 63e minute. Il reste un gros quart d’heure, les Franciliens assiègent la moitié de terrain castraise. Suite à un plaquage haut, l’arrière du CO Julien Dumora sort sur carton jaune jusqu’à la 75e minute. Il reste cinq mètres au Racing pour marquer et passer devant, cinq mètres à jamais infranchissables. La bande d’Urios se jette dans les jambes adverses comme des morts de faim, résistent en mêlée par des fautes intelligentes, et ne cède rien. Les Racingmen foncent dans un mur à chaque sortie de balle. Sur un dernier en-avant francilien dans les quinze derniers mètres, le match se termine, Castres, héroïque, est en finale. Le capitaine Mathieu Babillot fond en larmes laissant couler toute l’intensité de cette demi-finale sur son visage.

Rory Kockott et sa bande mettent le Racing à terre. Le CO disputera sa première finale depuis 2014. © Max PPP

Au Stade de France, les Tarnais retrouvent Montpellier, leader incontesté du Top 14 qui a foudroyé Lyon en demi-finales (40-14). Le MHR est plus en forme que jamais, et n’a pas eu à livrer une féroce bataille pour la qualification, le barrage, et la demi-finale. Castres n’a rien à perdre et tout à gagner. Vous le voyez venir ? Après des rounds de pénalités de chaque côté en première mi-temps, c’est Urdapilleta qui permet à son équipe de prendre six points d’avance à la trentième minute (12-6). Montpellier est amorphe, déjoue complètement, alors que son adversaire est libéré. A trois minutes de ma mi-temps, une touche héraultaise mal assurée envoie le ballon hors des limites du terrain, mêlée à cinq mètres pour le CO. Plusieurs minutes s’écoulent sans que les castrais ne parviennent à trouver l’ouverture. Mais une minute avant la mi-temps, le centre Thomas Combezou décale Julien Dumora. L’arrière slalom la défense montpelliéraine et aplatit en coin, 19-6 à la mi-temps. Logique. Au retour des vestiaires, le MHR ne peut pas moins bien jouer, tant ils ont paru décontenancé lors du premier acte. Parole tenue, après un carton jaune reçu par le deuxième ligne castrais Loïc Jacquet, les Héraultais enfoncent la mêlée castraise et marquent, 13-19 à la 55e minute. Tout est relancé. Ou pas. Comme face au Racing, le CO ne laisse rien à l’ogre montpelliérain, Urdapilleta, parfait dans son rôle de buteur met son équipe à l’abri à la 62e minute après une pénalité, 13-22. Les stars et colosses héraultais sont ailleurs, ni Juan Piennar, ni Nemani Nadolo, ni François Steyn ne sonnent la révolte. Et à la 76e minute, le MHR est transpercé de tous les côtés, Sitiveni Mafi marque en force au pied des poteaux, 13-29. Le peuple castrais reverra pour la cinquième fois le bouclier de Brennus dans sa ville.

Le centre Thomas Combezou explose devant François Steyn, impuissant face à la défaite de son club.

Dans une saison typiquement « castraise », le CO a déjoué toutes les probabilités. Avec les explosions de Julien Dumora, et du troisième ligne Maama Vaipulu, Christophe Urios a pu s’appuyer sur ses individualités au meilleur des moments, derrière un collectif sans commune mesure.

Un à un, les grands sont tombés, incapables de répondre au défi physique imposé par le 6e du championnat. Mais cette saison-là, Castres les a fait redoubler.

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