Dans les sports américains, on parle de dynastie lorsqu’une franchise parvient à glaner plusieurs titres sur un nombre d’années réduit. C’est la quintessence d’un groupe, un alignement des planètes prolongé, le brin de réussite qui vous sourit, bref, la domination écrasante d’un acteur sur son monde. De 2013 à 2015, le Rugby club toulonnais a régné sans partage sur l’Europe, en s’imposant, de fait, comme un nouveau géant du Vieux Continent. Itinéraire d’un parcours jamais égalé.
Après deux finales perdues en 2012 (Challenge Européen et Top 14), le RCT veut changer de cour. Lassé de voir les autres lever les trophées l’explosif président Mourad Boudjellal signe les recrues comme Johnny Wilkinson enchaîne les pénalités à l’entraînement. Mermoz, Michalak, Masoe, Kennedy, Jenkins, Armitage et consorts débarquent sur la rade toulonnaise. Avec ses leaders Bakkies Botha, Matt Giteau, Carl Hayman et « Sir Johnny » l’armada rouge et noire est née sur le papier. Mais qu’en sera-t-il sur le pré ? 19 victoires et 90 points conquis en Top 14, solide dauphin du leader clermontois.Toulon est là où on l’attendait. Le championnat c’est bien, mais la Coupe d’Europe c’est mieux non ? Dans une poule abordable composée des Sharks de Sale, des Cardiff Blues et de Montpellier, les hommes de Bernard Laporte disposent des Gallois, écrasent les Requins (62-0) mais s’inclinent face à Montpellier lors de l’ultime journée. Peu importe, Toulon disputera les quarts de finale au stade Félix-Mayol pour la première fois de son histoire.
D’une intensité brûlante, le public toulonnais voit ses joueurs remporter une première bataille face aux Leicester Tigers, sur un drop de Wilko à la dernière minute pour sceller le succès varois (21-15). Première bataille, premier exploit, donc. Trois semaines plus tard, bis repetita. A Twickenham, la mêlée rouge et noire concasse celle des Saracens et permet à Wilkinson de régner dans son jardin anglais, avec 24 points au total. L’élève Owen Farrell ne dépassera pas le maître ce jour-là, 24-12, Toulon est en finale. Déjà historique, pour sa deuxième participation à l’épreuve continentale. En face, Clermont est favori et malgré deux essais encaissés, le RCT ne pliera jamais. A la 65e minute, le « cerveau » argentin Fernandez Lobbe arrache le ballon du match à Wesley Fofana et passe à Delon Armitage, la suite vous la connaissez, Clermont pleure Toulon rit. Premier sacre européen pour le peuple toulonnais. Lancés, les Galactiques disputeront une deuxième finale de Top 14 d’affilée. Face à Castres, la bande à Wilko sera trop court (14-19) pour réaliser le doublé H Cup* – Top 14. Qu’importe, le peuple toulonnais fêtera ses héros sur la Rade, objectifs explosés.
(*surnom de la Coupe d’Europe, Heineken Cup jusqu’en 2015)
Été 2013, pour prolonger la motivation après un titre, l’usage est d’injecter du sang frais dans les veines du champion. Qu’à cela ne tienne. Bryan Habana, Drew Mitchell, Martin Castrogiovanni, Ali Williams et Juan Smith arrivent. Que du lourd. En championnat, le club connaîtra quelques péripéties et la suspension de son architecte Bernard Laporte après des propos peu cordiaux à l’égard du corps arbitral. 16 semaines, à partir de février. Dur. Toulon gagnera moins de matchs que la saison passée mais terminera 1er . Symbole des grandes équipes non ? Pour l’Europe, même classement, même issue, quart à la maison. L’ogre irlandais du Leinster se déplace à Mayol. Après 40 minutes de neutralité (6-6), le RCT fait exploser les Blues avec deux essais de Xavier Chiocci et Drew Mitchell. 23-6 à l’heure de jeu, les Irlandais ne reviendront jamais (29-14 score final). Toulon impressionne. En demi-finales, au Vélodrome, c’est Sa Majesté Johnny Wilkinson (24 points au total, ça ne vous rappelle rien ?) qui crucifie le Munster (24-16) malgré les assauts rouges. Deuxième finale en deux ans, le rugby français a un fort accent varois. Face aux Saracens, finalistes novices, l’expérience rouge et noire fait la différence.
En envoyant Giteau et Juan Smith en terre promise, Toulon gère sa finale et gagne 23-6. Doublé historique pour un club de l’Hexagone. Insatiable, le RCT se défait du Racing 92 en demi-finale du Top 14 (16-6) et remporte un Bouclier de Brennus vengeur face à Castres (18-10), et scelle la plus belle saison de l’histoire du club. Le sacre est aussi le dernier de Johnny Wilkinson, qui part à la retraite après le doublé. On a connu pire comme fin de carrière. Good bye Sir.

En France comme en Europe, Toulon n’a jamais tremblé dans les matchs couperets. Cette saison, aucun match décisif ne s’est terminé à moins de huit points en faveur des rouge et noir. Costaud.
Le printemps se termine, il faut déjà penser à la saison 2014-2015. Guilhem Guirado, Leigh Halpenny et James O’Connor sont les fers de lance du recrutement « made in Toulon ». Les saisons passent et rien ne change. Le bateau RCT ne semble jamais à la dérive, et assure tranquillement sa position de leader du Top 14, comme l’an passé. Prenez les mêmes ingrédients en changeant les adversaires en Europe, Toulon termine 1er de sa poule. En quart de finale, désormais annuel rendez-vous au stade Félix-Mayol, Frédéric Michalak guide les siens avec six pénalités face aux London Wasps et envoie le club en demi, aidé par les essais de Mathieu Bastareaud et d’Ali Williams (32-18). Le Leinster débarque au Vélodrome. Dans un match cadenassé sans essai, les buteurs Halfpenny et Madigan pour les Blues assurent la prolongation au bout des quatre-vingt minutes (12-12). 90e minute, le Springbok Bryan Habana surgit, intercepte le ballon du match sur une passe irlandaise hasardeuse et plante l’essai de la victoire. Comme en 2014, le Leinster ne reviendra pas (25-20). Troisième finale d’affilée, deuxième face à Clermont.
Après une grosse entame jaune et bleue, Toulon fait le dos rond et profite d’une erreur clermontoise en toute fin de première mi-temps pour marquer et passer devant aux vestiaires. L’arrière de l’ASM Nick Abendanon ne dégage pas en touche à la mi-temps et permet à Mathieu Bastareaud d’aplatir en force (16-11). L’Anglais va se rattraper et marquer à la 62e et ramener les siens à un point (19-18). A partir de cet instant, Clermont ne marquera plus un point et se fera mystifier par un exploit personnel du Wallaby Drew Mitchell. Par ses crochets virevoltants, l’ailier australien efface six défenseurs et envoie Toulon vers le triplé continental (24-18). Clermont pleure, Toulon rit, une seconde fois. Usé, le RCT perdra en demi-finale du Top 14 face au Stade français un mois plus tard (16-33). Fin de cycle, ou plutôt fin de règne. Cette défaite marque le départ à la retraite de géants du Rugby mondial : Botha, Williams, Hayman s’en vont, l’ère des Galactiques est terminée.
Entre 2012 et 2015, Toulon aura disputé sept finales consécutives (Top 14, H Cup, Challenge Européen) et se sera imposé en trois saisons, comme un grand d’Europe. Le pari de la cohabitation de stars était risqué mais s’est révélé destructeur : un Brennus et trois Coupes d’Europe. Pas de doutes, ce Toulon-là était bien éternel.